« Flexibilité ! » C’est le mot que Patrick, 41 ans, choisit lorsqu’on lui demande ce qu’est le secret pour réussir sa cohabitation : lui, ses deux enfants, sa nouvelle conjointe et ses trois enfants. Sept beaux humains, dont cinq adolescents et préadolescents, qui se partagent un appartement assez petit à Bruxelles, où les loyers sont exorbitants. « D’abord, avant d’emménager ensemble, nous en avons beaucoup parlé aux enfants, qui s’entendaient tous très bien. Ensuite, nous avons pensé et repensé les espaces pour créer pour chacun une petite bulle personnelle. Et surtout, nous gardons un dialogue ouvert avec chaque enfant pour qu’ils se sentent tous écoutés, respectés et que leur opinion compte. On tente de respecter leurs horaires, leurs intérêts tout en créant des moments pour nous sept… quand nous ne sommes pas huit, neuf, voire dix à table lorsqu’ils reçoivent leurs amis ! »

Famille recomposée, problèmes financiers, parents vieillissants, divorce… nombreuses sont les raisons qui pourraient nous faire vivre de nouvelles réalités d’habitation. Avec nos enfants, ceux de notre nouveau conjoint, nos parents vieillissants, notre frère, notre sœur, notre belle-famille, peut-être. Pendant quelques mois ou encore pour le reste de notre vie. On ne peut jamais garantir que tout se passera pour le mieux, bien sûr, mais on peut mettre toutes les chances de notre côté en respectant certaines règles d’or. Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, s’est penchée sur la question, à notre demande.

Elle offre quelques conseils.

  • C’est fondamental : il faut que tous dans la maisonnée partagent la valeur de la vie relationnelle. Ça veut dire qu’il faut s’en faire pour l’autre, en prendre soin. Impossible de vivre en ermite quand on vit en groupe élargi : le bien-être de l’autre doit compter autant que le nôtre.
  • Le respect, c’est la base. On s’ouvre à l’autre et on l’accepte, même si on ne le comprend pas toujours et qu’il est différent de nous. On cultive l’empathie en tentant de voir avec les yeux de l’autre. On n’est pas obligés d’être d’accord sur tout, mais on tente de ne pas s’enfarger dans les détails.
  • Ouvrir le dialogue… et se disputer comme il faut ! On se parle, oui, mais il y a un moment pour tout. On évite de tenter de résoudre des problèmes à chaud ou quand on est fatigués : on doit prendre du recul devant une charge émotionnelle. Sinon, on risque de dépasser notre pensée et de blesser l’autre. Il est tout à fait permis de dire « On va se parler demain »… à condition d’en reparler, pour éviter d’accumuler du ressentiment. Trop fâchés, on n’arrive plus à entendre l’autre ni à se mettre à sa place. Quand ça accroche, on doit nommer ce qu’on vit et pas juste chialer. Il faut aussi générer des solutions, pas seulement baisser les bras et endurer !
  • Prévoir un espace pour chacun avec des règles claires. Oui, on doit prévoir des espaces communs où on peut se retrouver, mais aussi à chacun un espace bien à lui. Par exemple, on peut établir la règle du chacun sa chambre et on n’y entre pas sans y être invité. On décrète aussi s’il y a des objets qu’on ne désire pas partager et on le dit clairement.
  • Donner à chacun des responsabilités à sa mesure. Bien sûr, ce sera différent s’il s’agit d’enfants ou d’adultes, mais chacun doit contribuer à la maisonnée selon ses capacités. On s’entend tout de suite sur le partage des dépenses, en tenant compte de nos moyens. On peut par exemple contribuer aux courses et aux factures de services publics (électricité, chauffage, eau chaude, câble, etc.) au prorata de notre salaire, histoire de ne pas s’appauvrir indûment si on intègre une maisonnée où les coûts fixes sont plus élevés que nos moyens. Pour les enfants, on pense aux tâches appropriées à leur âge.
  • Accepter les circonstances propres à chacun. Si on choisit d’héberger nos parents vieillissants ou d’aller vivre chez eux, il faut tenir compte des conséquences du vieillissement. Il faudra probablement faciliter leur mobilité avec certaines rénos, ou ne pas se fâcher si une limite cognitive nous oblige à tout répéter plusieurs fois.
  • Ouvrir ses bras = ouvrir aussi son cœur. On entend par là que si on choisit d’accueillir des proches dans notre maison, il faut assumer notre choix. On ne peut pas accueillir pour ensuite culpabiliser l’autre ! Cela dit, accueillir n’est pas synonyme de signer un chèque en blanc. On s’entend sur un cadre et un délai de cohabitation, selon les circonstances. Et si vraiment on ne veut rien savoir d’héberger nos proches, mieux vaut dire non tout de suite plutôt que de cultiver du ressentiment et de la culpabilité. La cohabitation forcée peut être un mal nécessaire, mais elle ne doit pas durer et elle doit être très bien encadrée.
  • Pour les familles recomposées, il n’y a pas de façons de s’assurer que la cohabitation sera réussie. Mais une plus longue fréquentation offre un facteur de protection. Bien se connaître permet de faciliter la transition, de même que passer les vacances ensemble. Ainsi, les parents peuvent mieux cerner leurs valeurs parentales respectives et s’ajuster afin d’assurer l’équité entre les enfants. Il faudra peut-être qu’un parent lâche prise alors que l’autre resserre la vis. Surtout, il est important que les parents d’adolescents et de jeunes adultes restent à l’écoute de leur enfant et offrent un espace qui n’appartient qu’à l’enfant et à son parent.