Ça fait déjà 10 ans depuis que Nancy a perdu son emploi, mais lorsqu’elle raconte l’histoire, la douleur est encore vive. « Nous étions une toute petite équipe, presque une famille. Ma collègue et moi, nous faisions tout, à deux, de l’accueil des clients à la facturation. En plus, c’était moi qui l’avais recrutée, elle était ma meilleure amie ! On voyait bien que c’était plus tranquille depuis un moment, mais je n’avais pas prévu que mon boss nous laisserait si facilement tomber. C’était la fin du monde pour moi, perdre ma job. Ça m’a pris très longtemps, m’en remettre. J’étais tellement inquiète de manquer de travail, j’étais défaite et déprimée. C’est mon identité même qui en prenait un coup. »
Vivre un deuil
Normal, répond Patricia Sfeir, psychologue organisationnelle et conseillère en gestion de carrière à HEC Montréal. « Perdre son emploi, c’est un deuil ! Et c’est vécu comme un deuil avec les mêmes étapes : choc et déni, colère, marchandage, tristesse et acceptation. Or, avant d’aller de l’avant dans la recherche d’un nouvel emploi, il faut d’abord absorber le choc. Pour certains, c’est plus long. Et si on ne mange pas, on ne dort pas et on vit une profonde détresse, il va d’abord falloir se reposer et digérer la nouvelle avant de faire un bilan et de savoir vers quoi on s’en va. »
Nul doute, même si perdre son emploi peut se vivre difficilement, le travailleur moyen d’aujourd’hui n’a pas le même attachement à son emploi que pour les générations précédentes. Peut-être parce qu’une majorité de travailleurs ne resteront pas toute leur vie active dans le même emploi et que les cycles de changement s’accélèrent. Un sondage (en anglais seulement) mené en 2014 par un site de recherche d’emploi dévoilait que si la tendance se maintient, les travailleurs canadiens peuvent imaginer occuper 15 emplois au cours de leur vie. « En effet, acquiesce Patricia Sfeir, les cycles de carrière sont beaucoup plus courts, de 2 à 3 ans, entre les changements de poste, d’entreprise, de secteur d’activité et même de métier. » Selon le même sondage cité plus haut, 51% des travailleurs interrogés sont restés moins de deux ans dans un poste.
« En Amérique du Nord, perdre son emploi n’est pas aussi mal vu qu’en Europe, disons, où une perte d’emploi équivaut à une perte de statut social, explique Kalina Morin, CRHA, stratège en gestion de talents chez Simplifica. Certes, ça peut se vivre difficilement, mais au Canada, on ne part pas les mains vides; on a droit à l’assurance-chômage. » Entre les fusions et acquisitions, les dédoublements de postes et les années plus difficiles pour l’économie, peut-être est-ce aussi simplement plus fréquent de vivre soi-même un licenciement ou de côtoyer des gens qui l’ont vécu.
Relativiser et repartir
Notre moral peut en prendre un coup quand on se fait licencier, mais il reste que ce n’est pas toujours signe qu’on ne performait pas. « Parfois, c’est une question de fit plutôt qu’une question de capacités ou de compétences. Tout le monde a sa place quelque part, mais pas tout le monde peut travailler n’importe où ! » rappelle Kalina Morin.
Patricia Sfeir parle, elle, de valeurs. « Derrière un rejet parfois, il y a juste un mauvais raccord, où nos valeurs ne sont pas en cohérence avec la culture organisationnelle. » Dans cette optique, il est moins question de chercher un coupable que de se questionner sur nos valeurs, afin de mieux aiguiller nos recherches. « Qu’est-ce qui a le plus d’importance à vos yeux ? Ce n’est pas banal : si par exemple, ce qui est important c’est notre santé, on va choisir un poste qui laisse de la place pour prendre soin de nous. Si on veut ‘être bon’ dans notre poste, notre valeur est la performance et on va choisir en conséquence. »
La période de chômage peut être fructueuse pour déterminer ce qui sera au cœur de notre prochaine aventure professionnelle, à condition de se donner un peu de temps et de marge de manœuvre. Patricia Sfeir rappelle qu’il faut du courage pour être humain et que c’est contre-productif de s’obliger à voir le ‘bon côté’ d’un licenciement. « Le discours surpositif – celui qui laisse sous-entendre que c’est ultimement un cadeau de la vie de perdre notre emploi car quelque chose de mieux nous attend – ça peut être culpabilisant et nous priver de l’espace pour comprendre la douleur liée au deuil et connecter avec elle. C’est ce deuil qui permet un bilan professionnel et une aventure psychologique de laquelle on peut sortir grandi. Cette remise en question est essentielle pour décider où on va et pourquoi, en se posant des questions du genre ‘Qu’est-ce que je ne veux plus ou ne peux plus faire ?’ »
Si l’exercice nous semble trop difficile à faire seul, on n’hésite pas à se tourner vers un ou des professionnels. Des conseillers en orientation, ce n’est pas uniquement pour les adolescents au secondaire ! « Si vous recevez une indemnité de départ au moment de votre licenciement, vous avez peut-être droit à un service d’orientation et de réorientation de carrière pour vous aider à trouver un nouvel emploi, rappelle Mme Sfeir. Profitez-en ! Sous la honte, les gens peuvent s’isoler, mais ce réflexe prive les gens de ressources structurantes qui peuvent vraiment les aider. »
Il est parfois bon de se rappeler que ce dur moment passera, rappelle Kalina Morin : « Il y a toujours d’autres emplois ! C’est le plein emploi au Québec en ce moment : il y a plus d’emplois qu’il y a de candidats. » De quoi redonner un petit coup de fouet au moral et donner envie de peaufiner notre CV…